Violées par des terroristes, des femmes, dans la région du Centre-Nord, sont tombées enceintes. Peinées de porter à terme les rejetons de leurs bourreaux, certaines femmes sont contraintes d’avorter. D’autres se donnent la mort pour clore la parenthèse abjecte. Fatima, dont on a perdu les traces et Worokia (élève) qui vit à une vingtaine de kilomètre de Kaya, sont victimes de ce drame silencieux. Leur vie de femmes violées par des HANI sont un supplice. Fatima et Worokia désignant les victimes, sont des noms d’emprunt.
Worokia est élève en classe de troisième dans un lycée, d’une localité située à une vingtaine de kilomètres, de Kaya. Déjà fille mère à 24 ans, sa vie a basculé dans l’horreur lorsque son chemin a croisé celui d’un individu armé qui l’a violée en novembre 2021, dans son village natal. Après les faits, elle a gardé le silence et ne savait pas qu’elle était enceinte de son violeur. Lorsqu’elle s’est rendu compte de son état, elle a tenté d’avorter à plusieurs reprises.
N’ayant pas réussi à éliminer le fœtus, elle décide alors de mettre fin à ses jours. Pour Worokia, il n’est pas question de garder cet enfant. Elle préfère plutôt mourir que de mettre au monde un bébé, fruit d’un viol commis sur elle par un ‘’terroriste’’. Elle absorbera des produits toxiques et c’est ainsi que ses parents la découvriront agonisante. Transportée d’urgence au Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) de son village, elle a été ensuite transférée dans la nuit du 6 au 7 janvier 2022, au Centre hospitalier régional (CHR) de Kaya. La jeune fille a été admise aux urgences pour tentative de suicide.
« Elle est arrivée aux urgences consciente, mais avec des propos incohérents et des idées suicidaires », confie Dr Zabré, gynécologue-obstétricien au CHR dans la matinée du 7 janvier 2022. A l’issue de l’interrogatoire, elle a avoué avoir pris un cocktail de produits très nocifs pour mettre fin à ses jours. A la maternité, une première échographie a révélé une grossesse gémellaire d’environ trois mois. « Sa vie en tant que telle n’est pas en danger. Il en est de même pour sa grossesse », rassure Dr Zabré. Worokia n’a heureusement contracté aucune maladie sexuellement transmissible.
Confirmation faite plus tard par le major de la maternité, Douba Sawadogo, le 17 février après des examens sanguins. Toutefois, Dr Zabré fait remarquer que la patiente a toujours des idées suicidaires. « Lorsqu’on échange avec elle, tout ce qu’elle désire, c’est mettre fin à sa vie et ne donner aucune chance à ces indésirables jumeaux de venir au monde ». Pour lui, tant qu’elle n’abandonne pas ses idées suicidaires, il ne sera pas prudent de la libérer, car elle peut toujours récidiver. « Il ne sert à rien de se précipiter à la libérer pour apprendre, plus tard, qu’elle a réussi à se suicider », prévient Dr Zabré.
Le sens de l’humanité
Il faut d’abord qu’on puisse la sensibiliser afin qu’elle abandonne ses idées suicidaires. Le 7 janvier 2022, nous avons rendu visite à Worokia, pour la première fois. Elle était sous perfusion, couchée sur un matelas posé à même le sol. Ses rondeurs ne laissaient pas de place au doute quant à sa grossesse. Entourée de trois femmes, dont sa sœur, elle est aphone. Les yeux fermés, elle est restée muette, ne répondant même pas aux salutations. « Comment te sens-tu aujourd’hui ? As-tu pu manger ? ».
A ces questions du gynécologue Zabré, elle a balbutié des mots inaudibles. C’est sa sœur qui s’est empressée de rassurer le médecin. Pour la suite de sa prise en charge, Worokia a été orientée au service de l’Action sociale de la région et celui de la Santé mentale du CHR. En psychiatrie, elle a été reçue pour la première fois, le 10 janvier avec un programme de suivi. Nous n’avons pas pu avoir la responsable du service de la santé mentale pour nous enquérir de l’évolution de son état psychique. Elle était absente lors de nos deux passages en janvier et février 2022.
Dans la matinée du 9 janvier, Worokia était toujours couchée au même endroit. Sa sœur dit ne pas être au courant des détails de son histoire. Toutefois, au sortir de ses rendez-
vous des 25 et 28 janvier 2022 en psychiatrie du CHR, sa sœur nous rassurait constamment de l’amélioration de son état de santé. Elle confirmera la même évolution au téléphone, le 13 février. Après les échanges, nous avions fixé un rendez-vous pour le 16 février 2022. Le jour-j, nous avons tenté de joindre sa sœur en vain. Jusqu’à ce jour, aucune autre entrevue n’a pu avoir lieu entre nous.
Nos multiples appels sont restés vains. Aujourd’hui, Worokia a survécu à sa tentative de suicide. Du moins, pour l’instant, car elle garde toujours ses idées suicidaires. Le cas de Worokia, future mère de deux « enfants de terroristes », est loin d’être isolé. Les tentatives de suicide sont légion dans les zones en proie aux attaques terroristes. « On a déjà enregistré deux cas de femmes dans la même situation », confie le Coordonnateur médical de Médecins sans frontières-Espagne au Burkina, Dr David Mouganga. Au nom de la confidentialité, le médecin n’a pas fourni de détails sur ces deux cas. Pour lui, les chiffres importent peu et l’on doit garder à l’esprit le sens de l’humanité.
La mort de Fatima
Car dit-il, aucune vie n’est remplaçable. En 2021, une dame, Fatima a réussi, elle, à mettre fin à ses jours. Son histoire nous est racontée en 2021 par une source associative intervenant dans le domaine des Violences basées sur le genre (VBG). Fuyant l’insécurité dans sa zone avec son mari, le couple a croisé des hommes armés. Ces derniers leur proposent deux options. Soit, violer la femme ou tuer l’homme. La femme s’est dite prête alors que le mari, lui préférait plutôt mourir que de voir violée son autre moitié.
Contre toute attente, l’épouse a même aidé ses bourreaux à maitriser son mari en le ligotant. A la suite de ce viol, la femme est tombée enceinte et a même exprimé le désir d’avorter. Mais, elle s’est confrontée à la lourdeur de la démarche administrative pour déclencher la procédure d’interruption sécurisée de la grossesse, comme le commande la loi. Au moment où une unité mobile s’apprêtait à quitter Ouagadougou afin de procéder à un avortement sécurisé,la nouvelle de la mort de Fatima par suicide lui parvient. Ignorant l’identité et sa zone de provenance,nos recherches sur le terrain ne nous ont pas permis de retrouver les proches de la défunte.Le témoignage de ces derniers aurait donné plus de détails sur l’histoire et les circonstances réelles de son suicide.
«Je n’ai pas connaissance de cas de suicide. Mais si elle est arrivée jusqu’à se suicider, c’est qu’elle n’a pas bénéficié de l’accompagnement dont elle avait besoin», s’indigne la conseillère technique de médecin du Monde-France, mission du Burkina, pour la thématique VGB,Halima Mohamadou. Pour elle,le point de départ c’est l’écoute, la disponibilisation des services. A toutes ces étapes, la sécurité de la survivante doit être renforcée et dans le respect de sa dignité.
Cette mort programmée ainsi que les autres tentatives révèlent à la face du monde,le désespoir de ces femmes violées par les terroristes.Le plus souvent, les survivantes de ces drames sont abandonnés à leur propre sort. Combien est-il regrettable de savoir que la société ignore que ces pauvres femmes, qui se trouvaient au mauvais endroit, au mauvais moment, ne demandent que compassion, solidarité et accompagnement. Les proches des victimes, les communautés et les autorités morales préfèrent se murer dans un silence rassurant mais coupable.